CHRONIQUE
100% TROPHÉES
Le buck de Sydney J. Staniforth (Québec 1914)


Par Jeff Morin
Dans les années 90, j’avais une passion que peu d’ados de mon âge avaient à l’époque. Je trippais « ben raide » sur la chasse! Combien de temps moi, mon père, mon frère on a passé à quadriller des territoires à la recherche de gibiers, principalement chevreuil et petit gibier. Mon frère achetait des magazines parlant de chevreuil record et d’histoire de chasse les plus folles les unes que les autres. On lisait les récits du légendaire Larry Benoit du Vermont reconnu comme le plus grand chasseur de chevreuil en Amérique du Nord et on écoutait des dizaines de vidéos de chasse sur VHS.
Mon frère m’avait transmis la passion des histoires de record et la façon d’analyser les panaches pour en mesurer leur pointage, pour moi Boone & Crockett (B&C) ressemblait plus à une marque de céréale qu’un système de mesure officiel pour les panaches trophées.
À cette époque, mes parents passaient leurs fins de semaine à arpenter les marchés aux puces à la recherche de vielle lampe à l’huile, plat de granit et autres antiquités et, c’est lors d’une de leurs nombreuses escapades à faire le tour des ventes de garage que ma mère a eu le regard fixé sur un objet dans un marché aux puces dans le coin de l’Islet. C’est la fête des pères et ma mère voit accroché au mur une tête de chevreuil muni d’un rack complètement hors normes. Elle ne fait ni un ni deux et demande le prix de cette vielle tête empaillée toute défraichie. 25 $ ma petite madame, puis enlevez moi ça de ma vue! Ma mère part à la course avec la tête et va la cacher dans l’auto pour pas que mon père voit ça.
Rendu à la maison : surprise bonne fête des pères!
Mes parents me montrent la bête, je n’en reviens juste pas de ce monstre mais aucune idée de comment vraiment bien mesurer la tête avec un gallon à mesurer ou bien même quelle est la bonne technique; Google n’était pas encore notre ami pour répondre à toutes nos questions… Mon frère qui était venu nous voir de la grande ville de Montréal voit la tête accrochée au mur. Il capote, et se met à éplucher ses magazines qui sont classés et sort une feuille de mesurage. Un soir, on est tous autour de la table à essayer de mesurer la tête, mais aucune idée de comment vraiment bien faire ce travail. Cela nous donne un score et on se dit que ce n’est même pas un record. Bref la tête retourne au mur et se fait oublier pendant plus de vingt ans.
On est le 3 novembre 2011, et il est 9 h 15. Un buck à 30 pieds de moi à la chasse fine, un ta&*%?$* de gros buck. Je tire, il fait 75 pieds et voilà c’est la fête au village. Un nouveau record de la pourvoirie Boismenu dans les Hautes-Laurentides. Un buck de 15 pointes pesant 280 lb éviscéré. Le propriétaire François m’annonce, lors d’un souper le lendemain soir, que c’est un record pour la pourvoirie. Je gagne le concours de panache du coin, j’écris l’histoire de la chasse je remporte des prix, je fais de la pub avec, je fais la tournée des salons de chasse, bref je raconte mon histoire environ 1 500 231 fois…

Le gros buck de 15 pointes d’un poids de 280 lb éviscéré récolté par l’auteur et nouveau record pour la pourvoirie Boismenu.
Mais quelque chose me revient en tête. À force de le regarder, je pense au buck encore accroché au mur chez mon père. Il ressemble à celui que je viens d’abattre, mais on dirait son grand père. Je vais chez mon père, décroche la tête et l’apporte chez nous. Je contacte un certain André Beaudry de Granby qui est mesureur B&C. Je lui envoie des photos de mon buck et de la vielle tête. « Écoute mon grand, yé beau là ton buck que tu viens de récolter… mais la vielle tête, je pense que tu n’es pas vraiment conscient de ce que ça peut représenter, je vais descendre te voir avec mon partenaire Raynald Groleau et on va mesurer tout ça ».
Pendant ce temps je commence mon job de «Columbo». Le buck est monté à l’origine sur une plaque de bois avec des écritures à l’arrière, mais on ne voit pas vraiment ce qui est écrit. Je prends une photo avec mon cell, envoie cela sur l’ordi et je commence à jouer avec les tons et les couleurs pour voir l’écriture apparaitre :
1914 , ARUNDEL QC SYDNEY J. STANIFORTH (en signature)
RECEIVE PAYMENT FOR THIS HEAD MOUNT.

Inscription apparaissant sur la plaque à l’arrière du montage de taxidermie.
Hein 1914 ? … Mais c’est qui ça Sydney J. Staniforth? Je commence une série de recherche sur Google et sur le téléphone pour trouver que Sydney J. Staniforth était patron de la Fossmil lumber compagnie à Fasset (moulin à bois) en 1913. C’est d’ailleurs dans cette ville que ses parents demeuraient. Il semblait très impliqué dans sa communauté, il a d’ailleurs créé une équipe de hockey. Arundel est située juste au nord de Fasset donc l’histoire serait qu’à l’automne 1914, il aurait été là-bas et a abattu ce monstre des temps passés. Seul des gens fortunés à l’époque pouvaient se payer une taxidermie. Le moulin ayant brûlé en 1934, il aurait déménagé ses opérations à Kiosk en Ontario, non loin de là. Vous pouvez cliquer sur le lien suivant pour en savoir plus : Heritage Perspectives: Staniforth at Kiosk (pastforward.ca).
Donc on mesure le tout et le résultat est le suivant: 190 3/8 brut et 170 7/8 net B &C avec 17 pointes de plus d’un pouce. Une base typique mais avec un peu d’atypique au travers. Le seul 7 x 7 connu à l’époque au Québec donc 14 pointes typiques. Il aurait été numéro 1 au Québec pendant plus de 60 ans jusqu’environ dans les années 70. L’histoire ne s’arrête pas là. André m’annonce, que tout ce qu’il brise comme record et la valeur historique de ce buck, est dans l’histoire du Québec.
Je regarde le tout et vu que la tête est toute vieille, je veux lui rendre ses lettres de noblesse et sa prestance. Je démonte la tête moi-même et le crâne est entier avec une bûche pour faire le cou et le tout rempli de paille et d’un genre de plâtre de paris et bien sur les yeux en bille. Le tout démonté, je remarque une corde qui fait le tour de la base des merrains et le panache après le crâne est tout lousse, un genre de stud de métal semble tenir le tout en place.
Ah merde, je pense que ce panache est peut-être deux cornes trouvées (sheds) ou quelque chose du genre, bref ça semble avoir déjà tombé et remis en place de, je ne sais quelle manière, mais le tout était coulé et pris ensemble « d’origine ».
J’en parle à André et je lui explique qu’on ne peut officialiser des (sheds) que ce serait malhonnête même si je pouvais me la fermer et laisser ça comme ça. On décide donc de ne pas l’officialiser et de ne pas l’inscrire dans B&C ni Trophée Québec par souci d’éthique.
La tête a été refaite à neuf et le taxidermiste était sans équivoque, ce panache fit avec ce crâne là mais, quand même, j’ai laissé ça mort car je me sentais mal de ne pas dire ce que j’avais vu.
Malgré tout, nous avons été capables de l’enregistrer dans le Northeast big buck club aux USA dans la catégorie (panache trouvé). Cela demeure la plus vielle tête de chevreuil du Québec et pour moi cela va demeurer une histoire à raconter encore et encore! Avec l’engouement que génère cette histoire, André m’a approché et je suis, moi aussi, devenu mesureur officiel Trophée Québec.
Maintenant, il dort dans mon salon ayant retrouvé ses lettres de noblesse et sa prestance. Je me ferme parfois les yeux et je m’imagine en 1914 avec mes caleçons à panneau et mon manteau carreauté à la chasse fine alors que je me retrouve face à face avec ce monstre à me demander comment j’aurais réagi. Une page de l’histoire de la chasse au Québec à tout jamais dans mes pensées et dans mon salon!

Montage original du buck de Sydney J. Staniforth qui aurait été récolé en 1914.
Saviez-vous que?

Mâle chevreuil au panache exceptionnellement large (33 4/8 po) récolté par Wesley Call en 1995.
Vous avez des questions concernant le mesurage de trophées (orignal, chevreuil, ours, caribou)?
Écrivez-moi à : beaudrybuck@hotmail.com et je me ferai un plaisir d’y répondre dans une prochaine édition.