CHRONIQUE
100% ARMES
Les effets néfastes d'un tir plongeant à grand angle
Par
Réjean Côté
L’an dernier, un de mes collègues me téléphone, il est déboussolé parce qu’il vient de manquer un magnifique chevreuil mâle de huit pointes durant la saison au fusil et à l’arme à chargement par la bouche. Il me dit : « j’ai visé le vital juste derrière la patte mais je crois que la balle est passée par-dessus, pourtant je venais juste d’ajuster ma lunette de visée et les tirs étaient parfaits ».
Le problème ici n’était pas la justesse du tir mais la situation « géographique » du tireur et de la cible. Je connaissais son installation (setup) et son tir était très incliné vers le bas. Il chasse dans un mirador portatif à 18 pieds de hauteur, donc le fusil à l’épaule sera tout près de 20 pieds selon lui. Selon le nombre de pas le chevreuil était à environ 50 pieds. Ça nous donne un angle descendant très prononcé.
Avec l’aide du théorème de Pythagore et un peu de trigonométrie, on arrive à un angle descendant de 68O , c’est très prononcé pour un angle de tir.
Sinus α = b/H sin α = 50 / 53.85 = 0,9285
Arc sin 0,9285 = 68,2 degré
Ou plus simplement, on utilise la tangente, a/b (coté opposé sur coté adjacent) donc 20/50 = 2.5 — arc tan 2.5 = 68.2 degrés
Cet angle est très important dans le calcul qui va déterminer ce qui s’est passé.
D’abord, selon mon expérience en balistique, « à l’œil » je lui ai dit que le projectile était surement passé par-dessus le gibier. Mais on peut estimer de combien plus haut est passé ce projectile.
Voyons d’abord quel est le principe qui gère ce phénomène, c’est assez simple, c’est la gravité. En effet, chaque projectile qui est lancé ou tiré avec une arme à feu tombe. De ce fait, la différence entre la ligne de départ du projectile (ligne droite qui serait tracée de la bouche du canon jusqu’à la cible si le projectile ne tombait pas) et la ligne de visée (ligne droite qui est tracée entre votre œil dans le télescope et la cible) juste sur la cible est la « chute réelle » du projectile (true drop) CO. CO est donc la quantité en pouce ou en cm de l’effet de la gravité qui fait tomber le projectile et selon la gravité, cette chute est toujours verticale vers le bas évidemment. C’est la chose la plus importante à retenir dans ce phénomène pour résoudre notre problème. Si on tire à l’horizontale ou sur une ligne droite, la chute réelle est parfaitement verticale, perpendiculaire ou à « l’équerre » avec la ligne de visée. Si la ligne de visée est très « penchée » vers le bas comme dans notre cas (68o), la chute réelle CO qui est toujours verticale n’est plus à l’équerre avec la ligne de visée. Voilà le problème. La figure 1 illustre le phénomène avec plus de clarté.
Figure 1 – Chute réelle d’un projectile pour les tirs en angle aigu
La quantité « R » (augmentation de la hauteur du projectile dû au fait de tirer vers le bas) peut être approximée grâce à des tables fournies par les compagnies de munitions surtout ceux qui fabriquent des projectiles pour le rechargement. La quantité R est toujours proportionnelle à la chute réelle du projectile « CO ». Le tableau suivant indique la quantité « R » (de combien plus haut passe le projectile en fonction de l’angle descendant).
Angle descendant | Facteur de hauteur de la trajectoire | |
5 | degrés | 0,004 |
10 | degrés | 0,015 |
15 | degrés | 0,034 |
20 | degrés | 0,060 |
25 | degrés | 0,094 |
30 | degrés | 0,134 |
35 | degrés | 0,181 |
40 | degrés | 0,234 |
45 | degrés | 0,293 |
50 | degrés | 0,357 |
55 | degrés | 0,426 |
60 | degrés | 0,500 |
65 | degrés | 0,579 |
70 | degrés | 0,663 |
Ce tableau s’applique à toutes les situations et tous les calibres. Vous n’avez besoin que de l’angle de tir et de la quantité « CO » pour votre arme et le projectile utilisé. Les tables balistiques étant la plupart du temps en anglais, cherchez le « D » (true Drop).
Dans le cas qui nous intéresse ici, le chasseur utilisait des munitions à sabot de calibre 12, un projectile de 385 grains avec une vitesse à la bouche de 1725 pi/sec. C’est un très gros projectile avec une vitesse relativement lente donc la gravité l’affecte grandement.
Comme l’arme était réglée à 100 verges (300 pi) le CO, (chute réelle du projectile) est grande, de l’ordre de 10 à 12 pouces. Utilisons 11 pour la valeur de CO et 0,660 comme facteur de hauteur de la trajectoire qui est assez près de 68,2O, donc le « R » dans cette situation est de 7,3. Le projectile est passé à environ 7 pouces plus haut que le point visé à 100 verges (300 pieds). Mais de combien plus haut à 50 pieds? Comme nous sommes en présence de deux lignes droites qui se séparent on peut appliquer une règle de trois. 7,3 pouces à 300 pieds, à 50 pieds ce sera 1.25 pouces. Ce n’est donc pas le seul facteur qui a provoqué ce raté.
Si une arme est réglée à 100 verges, la très courte distance dans cette situation provoque un autre phénomène. Tout projectile qui est tiré à partir d’une arme à feu décrit une trajectoire courbe (une parabole). Le projectile commence sa trajectoire en montant, puis un peu avant le milieu de la distance commence à descendre vers le centre de la cible. Dans le cas d’un fusil avec un projectile très lourd et une vitesse relativement lente, cette courbe est très prononcée. La figure 2 illustre cette courbe. Dans notre cas, le fusil est réglé à 100 verges (300 pieds) et il tire sur une cible à 50 pieds, voilà le problème. À 50 pieds, le projectile est en mouvement ascendant sur sa trajectoire, donc il est déjà plus haut que prévu par le tireur. En effectuant une règle de trois, à 50 pieds, le projectile est 1,83 po plus haut que le point visé sur une trajectoire montante.
Finalement, face à un gros gibier aussi près que 50 pieds mais vu de haut à un angle de 68O, la grandeur réelle de la zone vitale vue de cette façon est significativement plus petite. Si la cible était à 20 pieds, l’angle serait de 45O vous ne verriez plus que la moitié de la zone vitale et à 68O vous ne voyez plus que 25% de la zone vitale et vous voyez une bonne partie du dos de l’animal. Mais la petite partie de la zone vitale que vous pensez voir est la partie la plus haute de cette zone, à cause de l’habitude de tirer à cet endroit, vous allez instinctivement viser sur ce que vous voyez de la zone vitale, c’est-à-dire la partie la plus haute, très près du dos. Ajoutez 1.25 et 1,83 pouces à ceci, ajoutez l’erreur possible du tireur et vous venez de manquer votre gibier. Le projectile est passé à plusieurs pouces par-dessus.
L’été suivant, mon collègue a installé son mirador avec une cible à 50 pieds pour vérifier ses doutes et ma théorie. Avec la croix du télescope sur ce qu’il voyait de la cible, il a tiré, la balle a fait un trou 6 pouces plus haut que le centre de la cible.
On est en présence ici d’un cas exceptionnel, des angles de tir aussi prononcé sont très rares. Si vous êtes dans une cache à 10 pieds du sol et que vous tirez sur un gros gibier à 100 verges, avec une 270 win et un projectile de 130 gr, par exemple, l’angle de tir n’est que de 12 degrés et le CO est de 1,91 pouces. Le « R » n’est plus significatif, il sera de l’ordre de 0,05 pouce. 5 centièmes de pouce ne vous feront pas manquer votre gibier.
Cependant, si vous chassez à l’arbalète ou au fusil dans un mirador ou une cache très haute je vous recommande de pratiquer votre tir dans cette situation afin d’éviter les déceptions.
Scientifiquement, le phénomène est identique pour des tirs vers le haut mais il n’est pas sécuritaire de faire ce genre de tir puisque vous ne pouvez pas voir ni même estimer où ira votre projectile.